Anthony, pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec « Des étoiles et des femmes ? »
Nous avons commencé à collaborer avec « Des étoiles et des femmes » cette année. J’en avais entendu parler il y a quelques temps et finalement Adeline m’a contacté. J’avais la possibilité de l’accueillir, d’autant plus qu’en ce moment nous manquons de vocation et surtout de vocation féminine, nous nous sommes donc lancés ! J’ai toujours eu l’habitude d’avoir beaucoup de femmes en cuisine, du moins une bonne partie de ma brigade et le fait d’avoir Adeline permettait de réintroduire à la fois le côté féminin et « social ». Social dans le sens d’intégration. La personne que l’on reçoit n’est pas forcément du métier, elle a eu une vie avant et cela demande beaucoup d’efforts, c’est un vrai parti pris de la part de toute la brigade. Tout le monde doit s’impliquer.
Adeline a donc démarré au mois de septembre. Elle ne venait pas du tout du monde de la restauration mais elle s’est très investie. Dès le début, je lui ai dit que l’on serait un véritable relai tout en lui parlant de l’importance du travail personnel à accomplir pour l’apprentissage de la technique, du produit, des appellations… Ce n’est pas juste la transmission d’un savoir-faire manuel. Je pense qu’elle a compris ce que j’essayais de lui inculquer car elle pose des questions, elle va chercher et je la pousse sur les détails.
Être une femme en cuisine c’est …
Cela dépend des chefs et de la brigade. De notre côté nous avons une attitude bienveillante là-dessus et il y a un vrai respect quelque soit le genre. Avoir une femme en cuisine ça donne une forme d’équilibre, cela peut permettre à certains d’être moins machistes, d’avoir une vision un peu plus globale des choses et où la violence physique ou verbale ne peut être la même. Cependant, depuis que la Covid est passée par là, on a une seule femme dans la brigade, je trouve ça dommage. Comment expliquer qu’il y ait moins de femmes en cuisine ? Certainement la contrainte des enfants car c’est souvent la femme qui sacrifie sa carrière. Difficile de trouver un équilibre entre famille, éducation et travail en restauration. Aujourd’hui les questions qu’on se pose autour de ça sont fondamentales, comment pourrait-on faire pour attirer dans nos métiers ? Penser aux conditions de travail, en proposant – comme ce que je fais – des horaires différentes, en mixte, entre continu et coupures ou par exemple de 7h à 16h.
De manière plus générale …
Quand j’embauche une personne, j’essaie de trouver l’équilibre pour que cette personne soit heureuse. Une personne qui n’est pas heureuse dans son travail et dans sa vie personnelle, ce qui est lié, ne peut pas avoir une bonne production et ne peut pas être un bon manager pour ses commis et pour tout l’entourage de la brigade. On doit aussi partager des moments de famille par exemple, s’il y a des mariages ou des anniversaires importants, j’essaie de donner ces temps-là pour qu’ils en profitent. J’en ai moi-même raté beaucoup et malheureusement on ne peut pas revenir en arrière. L’idée est d’essayer d’avoir une productivité dans le plaisir.
Avez-vous envie de continuer l’aventure avec « Des étoiles et des femmes ? »
Cela se fait vraiment en fonction des personnes que je vais rencontrer. J’ai besoin d’une motivation, d’une personne qui a envie d’apprendre. Je trouve l’image très belle mais cela peut être déstabilisant pour une brigade d’avoir une personne qui arrive et qui n’a pas cette envie d’aller au bout. Ce que j’ai trouvé de bien chez « Des étoiles et des femmes » c’est la façon de sélectionner. Je reçois beaucoup de stagiaires d’écoles professionnelles de cuisine et tous n’ont pas cette motivation. Il n’y a rien de plus désagréable que quelqu’un qui traîne des pieds alors qu’on veut leur transmettre notre passion, notre savoir-faire et on a envie que cela soit eux qui nous accompagnent dans quelques années en tant que commis et pourquoi pas plus loin.
Comment qualifieriez-vous l’acte de cuisiner ?
La cuisine, c’est une forme de communication. Petit j’étais très timide et je le suis encore un peu. J’arrive à beaucoup mieux communiquer à travers une recette. Si vous me donnez un pinceau avec des couleurs, je n’arriverais pas à transmettre ce que je vois ou ressens. En revanche, au marché je peux transmettre l’humeur et l’envie du moment. A chaque fois, j’essaie de raconter une histoire pour chaque recette.
On peut aussi porter des convictions. Les choix de produits que je fais ne sont pas forcément les produits les plus faciles ou les plus nobles à travailler. Cependant, derrière ces choix, il y a des valeurs qui me tiennent à cœur dans la production, l’élevage ou des talents. Quand j’en parle j’inclus toute la brigade, nous allons voir les producteurs, nous les connaissons. Là où je prends mes légumes, j’admire l’engagement dans la manière de cultiver en bio, dans le choix des semences mais aussi dans l’embauche du personnel avec une dimension sociale. Je leur demande de ne pas calibrer les légumes, ils s’occupent de notre composte et ils valorisent des espaces urbains en transformant par exemple, un ancien parking en « champs d’endives ».
Que ressentez-vous au moment du coup de feu ?
Une forme de pression excitante, une adrénaline qui monte avant le service. On essaie d’ être concentré. Quand on fait un service, il y a différents postes, à chaque poste il y a différentes parties, et à chaque fois qu’on envoie une table tout doit être synchronisé.
Pouvez-vous nous partager un souvenir gustatif ?
Lorsque je goûte un produit de base, brut, un fromage, un lait, un légume … je pense à le transformer pour transmettre ce que j’ai ressenti à ce moment précis. Si je mange une fraise incroyable, ramassée à la bonne saison avec un goût et un parfum tellement puissant, j’ai envie de faire passer cette émotion.
Pour finir, quel conseil donneriez-vous à une future diplômée « Des étoiles et des femmes ? »
De bien réfléchir à son parcours, de faire les bons choix sur son début de carrière et les chefs avec lesquels elle travaille.Une cuisine où on transforme des produits bruts et une cuisine d’assemblage qui selon moi n’est pas de la cuisine.