Je suis venue à Marseille principalement pour les études de mes deux fils, je voulais absolument qu’ils soient bien encadrés et qu’ils aient des diplômes qui leur permettraient d’avoir un travail. Au départ, je voulais être aide-soignante mais je n’ai pas réussi les concours. À Madagascar, j’ai été orpheline de ma mère à 17 ans puis de mon père, ce qui m’a obligé à me débrouiller seule, depuis toujours. Je n’ai pas passé mon baccalauréat et je suis rapidement rentrée dans la vie active : secrétariat, employée dans des magasins de tirage photographique, serveuse dans les cafétérias d’hôtels …
A Marseille, mon aîné a voulu intégrer une formation en cuisine après le collège et quand j’ai vu ce qu’il faisait ça m’a intéressé ! L’idée de travailler moi aussi dans ce domaine a commencé à germer. Entre temps, je ne me suis pas arrêtée, j’étais agent d’entretien et aide auprès des personnes âgées mais financièrement ce n’était pas suffisant. Grâce à une amie qui travaillait dans un centre social, j’ai connu des « Étoiles et des femmes » puis pôle emploi m’a orienté vers ce programme. Je me disais : « comment faire pour retourner à l’école à 40 ans ? » mais je ne me suis pas découragée et je savais qu’il me fallait un diplôme, c’était le plus important.
J’ai réussi les tests et durant le stage d’immersion avant de commencer le CAP j’ai su que c’était ça que je voulais faire, je n’avais plus aucun doute !
L’année de formation a été difficile, entre la fatigue, la mémorisation des leçons, les trajets de deux heures chaque jour, en plus de la charge familiale avec les enfants et les factures … mais l’ambiance et les chefs étaient formidables. J’ai tellement appris sur les techniques, les saveurs et j’ai rencontré deux femmes qui sont devenues des sœurs; on s’appelait « les trois mousquetaires » ! On était solidaires, on rigolait beaucoup. Maintenant, l’une d’elle est cheffe à la crèche de la Friche Belle de mai et l’autre est cheffe de partie au Canada.
Pendant mon année de formation de CAP, j’ai d’abord effectué mon stage dans un restaurant gastronomique où je faisais essentiellement les mises en place. Mais certains jeunes qui y travaillaient n’étaient pas respectueux envers les femmes, c’était invivable, j’ai alors demandé à mon chef responsable des « Étoiles et des femmes » si je pouvais changer.
Il m’a orienté vers le Sofitel, le chef ici m’a dit de tout oublier et de reprendre à zéro et c’est vrai, l’équipe a été adorable avec moi. À la fin du stage, le chef m’a proposé de faire des extras au restaurant, j’ai dit oui tout de suite ! Avant même l’examen final du CAP je commençais à travailler chez eux, puis j’ai rapidement signé un CDI. Le jour où il m’a proposé d’intégrer l’équipe, je n’ai pas pu retenir mes larmes, toutes les difficultés que j’avais traversé auparavant sont remontées à la surface… une nouvelle page s’ouvrait définitivement !
À 10 ans, je cuisinais déjà avec mes parents et si je devais retenir un goût qui me fait encore saliver aujourd’hui quand j’y pense c’est le romazava crevettes et brèdes mafane. Les crevettes, c’est ce que je préfère mais le prix n’est pas le même à Marseille ou à Madagascar ! J’étais choquée en arrivant ici… J’essaie de transmettre cette passion à mon jeune garçon et c’est aussi pour qu’il puisse se débrouiller tout seul. Je lui montre comment préparer des plats français et des plats malgaches. Je lui dis aussi qu’il faut savoir s’adapter aux différentes situations si on veut réussir et se donner les moyens. Sa vocation à lui, c’est le football, il joue en club et malheureusement à cause de mes horaires de travail j’ai raté beaucoup de ses matchs, j’essaie de m’arranger un maximum pour y assister de temps en temps. Si je devais changer de job, la principale raison serait d’être plus présente pour lui.
J’essaierais de rassurer celles qui ont peur de ne pas y arriver, d’apprendre les choses les plus importantes par exemple pour les leçons en faisant des résumés de cours sur des petits carnets qu’on peut réviser dans le bus et le métro et surtout de faire confiance aux chefs !